La crise des Gilets jaunes et les choix du président Macron
Depuis le début des manifestations des Gilets jaunes le 17 novembre 2018 pour protester contre l’imposition de taxes sur les carburants dans le cadre du plan de réforme économique du président Macron correspondant à son programme électoral sur la base duquel il avait accédé au pouvoir en France, on observe un manque d’expérience politique clair dans la gestion de la crise de la part de son équipe et en particulier de son parti « La République en marche », qui est resté totalement absent de la scène jusqu’à maintenant et a laissé le président seul face à la rue sans aucun soutien.
Celui qui suit de près les événements devrait nécessairement constater l’évolution de la crise qui avait commencé par des revendications économiques pour finir par une crise politique et sociale grave, ce qui a réduit les choix laissés au président et à son équipe et a donné l’occasion à ses adversaires politiques de faire de la surenchère.
Les protestations ont commencé par la revendication visant l’annulation de l’augmentation prévue des taxes sur les carburants et a rapidement évolué, comme résultat d’une gestion maladroite de la crise, vers la demande de la chute du président lui-même et l’arrêt de l’application de son programme économique, ce qui signifie en fin de compte, son assassinat politique.
Les choix de Macron
Il ne reste plus face au président que quatre options principales :
1- La première option est de recourir au référendum public sur sa politique, comme l’avait fait le général de Gaulle face aux protestations étudiantes de 1968, et dans ce cas, il est attendu que 80% votent contre, ce qui est le pourcentage de ceux qui ont soutenu les revendications des Gilets jaunes.
2- La seconde option est de dissoudre l’Assemblée nationale, en préparation de la tenue d’élections législatives qui conduira nécessairement à la victoire de l’un des partis d’opposition ou à une alliance entre deux grands partis : le Rassemblement national présidé par Marine Le Pen et le Parti de la France insoumise présidé par Jean-Luc Mélenchon, et à la formation d’un gouvernement de cohabitation à l’instar des précédents présidents François Mitterrand en 1986 avec le premier ministre Jacques Chirac et en 1993 avec le premier ministre Edouard Balladur, et le président Jacques Chirac en 1997 avec le premier ministre Jospin. Cette cohabitation verra le transfert des pleins pouvoirs du président de la République en matière de politique intérieure au nouveau premier ministre qui adopte un programme différent de celui du président, et l’obligera à consulter le chef du gouvernement sur les problèmes de politique extérieure et de défense, ce qui est susceptible de mettre fin à la carrière politique de Macron. Mais en même temps, elle donne au président la possibilité de rester en place encore trois ans.
3- La troisième option est la démission du gouvernement Edouard Philippe et la formation d’un gouvernement d’unité nationale dirigé par une personnalité forte de la droite modérée ou de la gauche modérée. On parle de la nomination de François Bayrou (centre-droit) ou de Jean-Yves Le Drian (centre-gauche), en s’appuyant sur des ministres de divers courants. Si cela est couronné de succès, cette option permettra à Macron de ne pas se couper de sa base populaire modérée, tout en conservant son influence politique. Peut-être pourra-t-il revenir sur le devant de la scène avant les prochaines élections présidentielles.
4- La quatrième option est le recours du président aux tergiversations, pour tenter de gagner du temps par le biais de l’allocution qu’il va prononcer aujourd’hui lundi, et revenir au point de départ. Mais il risquera alors de mettre la France à feu et à sang samedi prochain 15 décembre. C’est ce qui a attiré l’attention du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui a déclaré sur RTL, que la position actuelle de la France exige un débat national sérieux, non pas pour duper ou tergiverser, mais pour trouver des solutions, sinon le prix à payer sera élevé.
Le Drian, qui est considéré comme le membre du gouvernement de Macron le plus expérimenté en politique intérieure et extérieure, a ajouté que Macron avait conscience maintenant de la nécessité de ne pas ignorer les partis et les institutions de l’Etat, et de ne pas imposer des solutions d’en haut, affirmant qu’il était temps pour le peuple de la France profonde – les régions autres que Paris – de participer au dialogue social et politique.
Malgré la compréhension de la crise par l’un des membres les plus importants du gouvernement de Macron, sa solution sera coûteuse même si le président en a la volonté. Car de nombreux facteurs internes et externes contribuent à un prolongement de cette crise.
Les facteurs d’intensification de la crise
Seul Macron est responsable de cette crise, avec ses politiques qui ont excédé la majorité de la population. Mais, au bout de plus de quinze jours de protestations, de nombreux pays ont réagi par des déclarations.
1- La Turquie : Erdogan tente de démontrer qu’il est un acteur essentiel dans tout événement qui se produit en Europe, par le biais des associations turques qui se trouvent en France, et dans les banlieues de Paris en particulier, et dont les cadres participent avec force aux protestations.
2- L’Iran, veut réagir au coup que lui a porté Macron les mois derniers en démantelant des cellules terroristes appartenant à la Garde révolutionnaire iranienne, et en adressant un avertissement sévère à l’Iran, affirmant la nécessité de cesser toute action suspecte sur le territoire français, et annulant sa visite à Téhéran qui devait avoir lieu en avril prochain.
3- Le Qatar, est lésé par le soutien de la France à l’Egypte, aux Emirats et à l’Arabie Saoudite, (le gouvernement de Macron ayant répondu favorablement à l’Egypte concernant la vente de Rafales et de porte-avions, et ayant accueilli chaleureusement Cheikh Mohammad ben Zayed en annonçant un partenariat franco-émirati à long terme).
La France n’a pas non plus adopté une position défavorable au prince Mohammad ben Sultan contrairement à ce que souhaitait le Qatar, concernant l’affaire Khashoggi. La France appelant au contraire, à lui donner une autre chance.
Le Qatar utilise les Frères musulmans et les associations qui en dépendent pour prolonger la crise dans les banlieues.
4- Par ailleurs, la droite européenne soutient les mouvements de la droite française hostile aux politiques de Macron, concernant l’Union européenne.
5-
Le président américain Trump soutient Marine Le Pen, rivale et hostile au
président Macron, étant donné la tentative du président français de
diriger l’Union européenne contre les intérêts américains alors que Le Pen veut
sortir de l’Union européenne, ce qui sert Trump.
Marine Le Pen a rencontré à Bruxelles Steve Bannon, coordinateur de la campagne électorale de Trump, connu pour ses orientations favorables à l’extrême-droite et son hostilité aux politiques de Macron.
Comment en est-on arrivé à cette situation ? Est-elle engendrée par ces protestations des Gilets jaunes ? Certainement pas.
Macron, ex-ministre français de l’Economie (2014-2016), est devenu un phénomène politique depuis sa démission en août 2016, pour fonder la République en marche.
La droite française a vu en lui un concurrent dangereux, pouvant constituer un obstacle face à l’arrivée au pouvoir de leur chef François Fillon. Quant au parti socialiste, il l’a surnommé le nouveau Brutus, en référence à celui qui avait participé à l’assassinat de l’empereur romain Jules César, bien que l’ancien président lui ait facilité les choses pour son avenir.
Macron selon eux, a trahi a trahi le président François Hollande qui l’avait nommé ministre de l’économie en 2014, après avoir été son conseiller à l’Elysée en 2012.
Mais en août 2016, Macron décida de quitter le gouvernement pour se préparer à la fonction suprême, sans s’interroger sur les conséquences de sa candidature contre un président qui lui avait présenté aide et soutien pour qu’il puisse briller sur la scène politique française et européenne. Ce qui justifie la position de Hollande qui a été le premier politicien français à rencontrer les Gilets jaunes et à déclarer sa sympathie pour leurs revendications.
Les réformes de Macron
Macron arriva au pouvoir avec un programme ambitieux de réformes politiques et économiques, comprenant la restructuration du marché du travail, la suppression des carburants fossiles, la modernisation du système d’enseignement, outre l’augmentation des impôts sociaux, et l’annulation de l’impôt sur la fortune.
Il a voulu reconstituer la vie politique en France en
éliminant les deux partis principaux, Républicains et Socialistes, de la
scène, par un nouveau mouvement, « En marche », fondé un an avant les élections
présidentielles de 2017, qui s’est transformé en parti politique après son
accession au pouvoir sous le nom « La République en marche ».
Le mouvement En Marche
Mouvement politique français ni de droite ni de gauche, fondé par Emmanuel Macron en 2016, pour être un tremplin lui permettant d’accéder à l’Elysée.
Macron lança le mouvement le 6 avril 2016, dans sa ville natale Amiens dans le nord de la France, alors qu’il était ministre de l’Economie dans le gouvernement de Manuel Valls, avant l’annonce de sa candidature pour la présidentielle de mai 2017.
Macron affirma lors d’une réunion qu’il avait décidé de fonder un nouveau mouvement politique après avoir réfléchi et consulté ses amis.
Ce mouvement bénéficia d’une couverture médiatique importante et d’un soutien de personnalités politiques françaises connues, ainsi que d’ex-parlementaires et membres des gouvernements français successifs.
Le mouvement a pu attirer de nombreux jeunes et hommes de lettres et d’affaires, voire des politiciens de droite et de gauche, qui déclarèrent leur soutien à Macron aux élections présidentielles de 2017.
Il gagna aussi un soutien extérieur de la part des partisans de l’Union européenne.
Mais les bonnes intentions ne suffisent pas toujours et contrairement à ce qu’avait voulu Macron, le nouveau mouvement contribua à perturber la bonne relation entre le gouvernement et l’opposition qui avait caractérisé la vie politique française pendant des décennies, lorsque Macron utilisa le poids qu’il avait acquis à travers la présidentielle pour se propulser sur le devant de la scène lors des premières élections parlementaires et faire gagner à son parti 309 sièges sur 588, obtenant ainsi la majorité sur laquelle il allait s’appuyer pour éliminer ses adversaires politiques de la scène politique, ce dont il paye le prix aujourd’hui avec ces protestations.
La formation du mouvement a été étrange dès le début, d’un côté, il voulait être un mouvement pour les citoyens et des milliers d’associations dans le pays, et de l’autre côté, sa structure repose sur une seule personne, Macron lui-même, ce qui l’a transformé en une bulle virtuelle qui s’appuie sur le poids du président sans la moindre expérience de la réalité politique française.
Le mouvement s’est ainsi rapidement transformé en parti sans rival politique, après le recul du parti socialiste et les divisions au sein des Républicains.
Les partis considérés comme extrémistes : celui de Jean-Luc Mélenchon (gauche) et de Marine Le Pen (droite) semblent être sortis totalement du jeu politique, après que Marine Le Pen eut été à deux doigts d’accéder à l’Elysée, au second tour de la présidentielle face à Macron.
Le mouvement des Gilets jaunes
C’est dans ce contexte de vide politique qu’ont eu lieu les protestations des « Gilets jaunes » contre l’imposition de taxes diverses sur les carburants, dans le cadre du programme électoral du président, qui avait promis de faire entrer la France dans l’ère des énergies nouvelles, avant de se passer définitivement des énergies fossiles.
En réalité, Macron n’a pas bien retenu les leçons de l’Histoire qui affirment clairement que la plupart des révolutions françaises avaient commencé à cause d’une augmentation des impôts. Peut-être le jeune président grisé par sa victoire inattendue a-t-il oublié la « hantise des impôts » chez son peuple, dont avaient souffert avant lui de nombreux présidents. Il commit ainsi la première erreur en ignorant les protestations, puis en les traitant avec mépris, lorsqu’il vit que les manifestants venaient de la périphérie de Paris et de villes éloignées de la capitale.
La reprise des protestations le samedi suivant et leur extension grâce au réseaux sociaux n’a pas inquiété le gouvernement ni le président, malgré le soutien au mouvement de plus de 80% des Français et l’incapacité des « institutions intermédiaires entre le peuple et le pouvoir » (partis, parlement, syndicats, associations) à prévoir le mouvement et à le contenir, et encore moins à l’exploiter politiquement.
Tous les partis de l’opposition sont restés impuissants, parce que le président les a éliminés complètement de la scène politique par sa victoire inattendue à la présidentielle puis aux législatives.
Marine Le Pen représentant l’extrême-droite est apparue comme faisant partie de ceux qui ont influencé le mouvement et poussé vers les Champs-Elysées.
La crise a révélé finalement le point de faiblesse le plus grave du président, qui représentait un an plus tôt sa meilleure arme, à savoir les jeunes de son parti. Ces derniers sont apparus perdus, incapables de traiter la crise. Ce qui a placé le président et le gouvernement dans une position de faiblesse face à l’opinion publique. Cette position va-t-elle durer ? L’évolution de la crise dans les jours à venir le dira.
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